Les espèces sont confrontées à faire des choix. Un exemple majeur est de se reproduire le plus tôt possible, au détriment de la croissance, ou bien d'attendre d'être assez grand avant de se reproduire. Ce compromis fondamental entre "la reproduction actuelle et future" a longtemps été considéré comme un facteur majeur permettant d'expliquer la diversité des tailles des arbres. Toutefois, les estimations de la taille de maturation des arbres restent rares en raison du temps prolongé nécessaire pour atteindre la maturité.
Combien de temps faut il attendre avant d'observer les premiers fruits? 🤔
En effet, sachant que la plupart des arbres mettent plusieurs décennies avant d'être matures, s'il faut attendre 40 ans avant d'observer la fructification d'un arbre, on comprend pourquoi ce n'est pas le sujet le plus étudié.
Et pourtant, dans notre étude, nous avons utilisé des données sur la production de graines provenant de cinq continents pour estimer la taille à maturité de 486 espèces d'arbres, couvrant des climats allant du tropical au boréal. Nous avons estimé la taille à maturité à l'aide des 12 millions d'observations arbre-années qui ont été récoltées dans le cadre du réseau MASTIF.
Les résultats montrent que la taille a maturité des espèces augmente avec leur taille maximale, mais de manière non proportionnelle : les espèces les plus grandes commencent à se reproduire à des tailles plus petites que ce qui serait attendu si la maturation était simplement proportionnelle à la taille maximale.
Figure présentant la relation entre la taille à maturité et la taille maximale. Dans notre étude, on a observé que cette relation n'est pas proportionnelle. Par exemple, si on suivait l'idée que les arbres se reproduisent à la moitié de leur taille max, un arbre qui atteint 100 cm de diamètre au max pourrait commencer à se reproduire à 50 cm. Mais en réalité, ça ne marche pas comme ça, car la relation est non proportionnelle. En gros, même les plus gros arbres n'ont pas besoin d'attendre super longtemps avant de se reproduire.
[un peu plus de detail, sur les valeurs trouvees. En gros, ici on regarde une relation entre taille a maturite (dmat) et taille maximale (dmax). Ce qui donne en gros dmat = a*dmax^beta, et le truc cool, quand on passe en log-log, ca donne log(dmat) = a+beta*log(dmax). Ce qu'on peut faire ensuite, cest regarder quelle est la valeur de ce parametre beta, qui decrit le lien entre la taille a maturite (dmat) et la taille maximale (dmax). Du coup si beta < 0, on attend une relation negative entre dmat et dmax (plus dmax est grand, et plus dmat est petit), beta > 0, relation positive, du coup quand dmax est grand, dmat est grand, ou bien beta = 0, ca veut dire que dmax et dmat ne sont pas liés.]
Le coefficient que nous avons trouvé (beta = 0.30) reste relativement faible, indiquant une faible relation entre la taille à maturité (dmat) et la taille maximale (dmax). Ce résultat contraste avec d'autres groupes, comme les vertébrés, où le rapport entre ces tailles est généralement plus élevé. Ce faible couplage peut s'expliquer par les caractéristiques propres aux arbres (ils sont en compet deja pour pour atteindre la canopée). En effet, la production de graines est quasiment inexistante chez les individus de sous-étage, mais peut augmenter de façon exponentielle pour les arbres dominants. En revanche, chez les vertébrés, les gains liés au retard de la reproduction sont souvent plus modestes.
Par ailleurs, de nombreux facteurs environnementaux influencent cette relation, notamment la température. Les arbres dans les climats plus chauds tendent à se reproduire plus tôt. Contrairement à certaines études précédentes, nous n'avons pas trouvé de lien significatif entre des traits fonctionnels comme la densité du bois ou la surface foliaire spécifique (SLA) et la taille à maturité. Cela pourrait être dû à notre plus grande couverture d'espèces et à la prise en compte de la phylogénie et du climat dans nos analyses statistiques.
Nos résultats ont des implications importantes pour les modèles de végétation et les modèles forestiers. Les modèles actuels, comme les modèles dynamiques globaux de végétation (DGVM) ou les modèles des systèmes terrestres (ESM), ne prennent souvent pas en compte la variabilité de la taille à maturité entre les espèces. Or, cette variabilité est cruciale pour comprendre la dynamique des forêts face aux perturbations et au changement climatique. En effet, la capacité des arbres à se reproduire tôt pourrait être un facteur déterminant pour leur survie dans des environnements perturbés. Il est donc important d'améliorer la précision des estimations de taille de maturation dans ces modèles pour mieux comprendre la régénération forestière et les dynamiques des écosystèmes face aux futures perturbations et au changement climatique.
Pour en savoir plus : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ele.14500
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